
"A vant de goûter pleinement la bienveillance
il te faudra perdre des choses,
sentir l'avenir se dissoudre en un instant
comme un grain de sel dans un bouillon léger...
Ce que tu avais dans les mains, ce que tu as compté et soigneusement épargné,
tout doit disparaître pour que tu saches
combien les paysages sont arides
entre les îlots de bienveillance...
Il te faudra rouler encore et encore
penser que le bus ne s'arrêtera jamais
et que les passagers grignotant du maïs et du poulet auront le regard
à jamais fixé à la fenêtre...
Avant de découvrir la tendre gravité de la bienveillance
tu devras voyager là où l'Indien en poncho blanche gît mort au bord de la route.
Tu devras réaliser que ça pourrait être toi,
que lui aussi était quelqu'un qui voyageait à travers la nuit des projets,
avec juste sa respiration pour le maintenir en vie...
Avant de rencontrer la bienveillance au plus profond de toi,
il te faudra aussi rencontrer le chagrin au plus profond de toi,
il te faudra te réveiller avec le chagrin.
Il te faudra lui parler jusqu'à ce que ta voix suive la trame de tous ces chagrins
et que tu voies l'étendue de la toile...
Il n'y aura alors plus que la bienveillance qui a encore du sens,
il ne restera alors plus que la bienveillance pour te faire tes lacets,
te lancer dans le quotidien, poster tes lettres et acheter ton pain,
plus que la bienveillance pour lever la tête au dessus de la foule et dire : Cest Moi que tu cherchais
et pour t'accompagner partout
comme une ombre ou un ami..."
Naomi Shihab Nye